mardi 7 août 2012

La faillite de l'enseignement public



"On ne peut plus continuer avec la logique du tout gratuit à l'enseignement supérieur du Maroc ". C’étaient les déclarations de Lahcen Daoudi, ministre de l'enseignement supérieur au Maroc. Pour étaler plus de détails, ce dernier avait affirmé que "les plus aisés devraient contribuer au financement de leurs études puisqu'elles sont très coûteuses pour l'état". Le ministre n’a pas cessé depuis de  de retirer et de réaffirmer ses propos dont on aura un avant-goût avec la prochaine loi de finances … L’adoption de ces mesures risque d'en finir une fois pour toute avec l'enseignement public agonisant depuis des décennies.

Autrefois, Hassan II avait affirmé dans une interview accordée à Jean Daniel qu'il ne voulait pas instruire son peuple, parce que ceux instruits sont devenus des opposants de son régime. Pis encore, après les émeutes de 1965, il s'est adressé au peuple en disant : " Vous les pseudos-cultivés, si seulement vous étiez des ignorants ". 

Ces déclarations se sont transformées en des politiques désastreuses de l'enseignement visant à tuer l'éducation marocaine dans l'œuf. Le taux d'analphabétisme bien élevé a quasiment stagné durant trente ans, les écoles publiques ont vu leurs effectifs augmenter et la qualité des enseignements a drastiquement baissé, s’ajoute à cela une arabisation hasardeuse et bâclée des programmes suivie d'un encouragement excessif de l'enseignement privé au détriment de l’étatique. Ce sont les titres phares du règne d’Hassan II, un roi cultivé qui a consolidé l’ignorance de son peuple pour prévenir son éveil à l’égard de son despotisme.

Avec l'avènement de Mohamed VI, les choses ne se sont guère améliorées. Le taux d'analphabétisme dépasse encore 40% de la population. L'enseignement public souffre des multiples grèves des enseignants, grèves où les demandes sont souvent matérielles et négligent l'essence de l'éducation publique et son essor. Les programmes désuets et le surnombre des effectifs ne font qu'empirer la situation. C’est ce qui pousse maints foyers à opter pour un enseignement privé de qualité, tandis que les plus défavorisés n'ont guère le choix.

Un lycéen sur deux devient bachelier selon les statistiques officielles. La plus grande partie intégrera des facultés. Une minorité se dispersera sur des écoles de commerce, des écoles d'ingénieurs ou choisira une carrière de médecin. Ces voies constituent un ascenseur social pour les fils du peuple qui se sont démarqués lors de leur cursus estudiantin. Le coût de l'enseignement supérieur se résume dès lors à des frais d'inscription, d'internat et de restauration. Du moins jusqu'à ce que le ministre ne fasse ses déclarations et son intention d'intégrer ces décisions dans la prochaine loi de finances.

Le ministre El Ouafa a annoncé il y a quelques jours l’échec cuisant du plan d’urgence de l’éducation et de la formation. Un plan avec une enveloppe budgétaire de 3,3 milliards de DH. Une feuille de route bâclée et adoptée hâtivement qui n’a servi qu’à gaspiller l’argent du contribuable. Pour calmer l’opinion publique, on vous chante que le taux de scolarisation de  la tranche d’âge 12 à 14 ans est passé de 71,3% à 79,1% … Cela veut dire qu’en 2012, un enfant sur cinq appartenant à cette tranche ne fréquente pas l’école. Cela pousse à avoir honte et non à se vanter monsieur le ministre. Cerise sur le gâteau : les programmes et les manuels scolaires seront une énième fois changés afin de « s’adapter » à l’échec du plan cité ci-haut.

Ajoutez à cela un dernier rapport de l’UNESCO qui regorge de statistiques bien effrayantes : Le Cameroun, La Tanzanie et le Bénin nous dépassent en taux de scolarisation des enfants. En plus de cela, on est l’avant dernier pays arabe en taux de réussite au baccalauréat devançant … le Yémen. Le reste des statistiques ne nous lègue que les derniers rangs au sein du monde arabe.

Les seuils d’admissibilité au sein des instituts de l’enseignement supérieur a quant à lui atteint des records durant cette année : 18.30 pour la médecine militaire, 17.27 pour l’ENA et que des 16 à peu près partout. Certains étudiants munis de baccalauréats avec de très bonnes mentions ne sont même pas recevables  pour passer les concours de sélection dans ces instituts … Cela a engendré une grogne parmi les élèves qui se sont regroupée dans « l’union des étudiants le changement du système éducatif » et ont manifesté dans plusieurs villes le 6 Août.

Durant ce temps, notre gouvernement n'a guère trouvé le courage politique de s'attaquer à la corruption et à la gangrène qui touche le pays. Il a vite abandonné la lutte contre la rente et a enterré un projet de taxation des riches. Il continue cependant à louer une monarchie qui détient le pouvoir absolu par une constitution remaniée. Au lieu de mener de sérieuses réformes, on vise à détruire cet ascenseur social de la classe moyenne et des démunis. Des classes qui souffrent d'une baisse du pouvoir d'achat, ajoutez à cela une annulation de la gratuité de l'enseignement supérieur et de probables augmentations à venir et vous menacez directement la paix sociale du pays.

On subventionnera les plus démunis nous dit-on, mais depuis quand les riches fréquentent-ils les facultés publiques ? Les plus aisés envoient leurs fils depuis le primaire au sein d'établissements privés marocains ou français. Ces derniers continuent leurs études supérieures en France ou dans un établissement privé. Ils fuient l'enseignement public, car connu pour sa défaillance. Alors de qui se moque-t-on encore au Maroc ?

Heureusement que l'autodidaxie reste un refuge pour le marocain, jusqu'à ce qu'on la taxe elle aussi.

11 commentaires:

  1. tes articles sont bien meilleurs que celles qu'on trouve dans les journaux ! tellement elles reflètent la vérité toute crue tout en gardant de la qualité de style ! chapeau mahdi !

    RépondreSupprimer
  2. *Critiquer * c est ça se qu'on sait faire dans ce pays !

    RépondreSupprimer
  3. Eh bien, moi, je ne vais applaudir comme les font la plupart des commentateurs car je crois savoir que tu es élève ingénieur dans un école MAROCAINE et que tu es le produit de l'enseignement PUBLIC MAROCAIN! Si je me trompe, remets-moi à ma place sèchement : je le mérite. Si ce que j'affirme est vrai, cela signifie que l'enseignement public marocain produit des élèves de qualité, à moins que tu ne considères pas comme un élément valable. Tu n'es pas seul dans ce cas : beaucoup de fils du peuple peuplent les classes préparatoires surtout mathsup et mathspé, les mieux lotis préfèrent les prépaHEC!

    A partir de cette observation, je me permets d'être dubitatif quant à la pertinence de ton billet.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je tiens à remercier les commentateurs ci-haut pour leur lecture et interaction en premier lieu.

      @ politis : Vous ne vous trompez pas, je suis un pur produit de l'école publique,je n'ai jamais étudié dans le privé. Cependant permettez-moi d'être dubitatif vis-à-vis de la conclusion tirée.
      La dernière phrase de mon billet vous illustrera implicitement la réalité. L'école publique vous apprend une chose précieuse que vous n'apprendrez nulle part : de compter sur vous.

      Les bons éléments que vous considérez sont facilement noyés dans des statistiques globales : le nombre qui intègre les grandes écoles d'ingénieurs avoisine les 2000 étudiants. Sur le nombre total des étudiants marocains et à la lumière des statistiques dressée, le portrait sera plus complet.

      Merci pour votre lecture et interaction, vous êtes toujours le bienvenu avec vos commentaires, vous pouvez vous exprimer librement. La diversité est un enrichissement.

      Cordialement,

      Supprimer
  4. Nos facultés ne sont plus que des garderies pour adultes. Nos formations sont médiocres. Nos licenciés sont incapables d'aligner une phrase correcte. Depuis un certain temps, le pays a opté pour un enseignement à deux vitesses: l'excellence pour les riches, la médiocrité pour les pauvres...Tout cela n'est qu'une bombe à retardement...
    Bravo pour ton article!

    RépondreSupprimer
  5. Un enseignement de Merdre,et le sera pour toujours.On est dans un pays ou la fierté se mesure par le fait d'organiser des festivals et de payer Chakira et autres par des Milliards au lieu de ls investir dans la recherche scientifique(d'ailleurs la recherche scientifique se plaint de cette ministère qui se nomme Ministère de l'enseignement supérieur et recherche scientifique ...) ,Ayss7an trwi rikli sina l3wina.

    Excellent article Président!

    RépondreSupprimer