Autant vous l’annoncer dès le
début : la situation est critique, alarmante et désolante. Si la situation
de l’éducation est bien sinistre, qu’en
sera-t-il de la culture ? Strate bien supérieure qui suppose une éducation
en bonne et due forme. Surtout si l’on sait que statistiques à l’appui, le
dernier rapport de l’UNESCO démontre que parmi 100 marocains, 13 seulement
décrocheront le baccalauréat.
Avant de décrocher le fameux sésame,
l’élève marocain aura parcouru les différentes étapes d’un enseignement public
bien délabré. Un périple au sein des établissements marocains où l’enseignant a
perdu son statut et son aura de jadis et que les plus chanceux auront pu éviter
en ayant recours à l’enseignement privé. Encore faut-il qu’il soit de qualité. Bachelier
donc, l’étudiant marocain cherche refuge dans un établissement de
l’enseignement supérieur.
Durant cette quête du savoir, ou
plutôt du diplôme, les acquis culturels restent à prouver. Le souci principal
de l’étudiant reste de réussir ses années grâce à des validations successives
de modules qui se soldent par décrocher un carton où votre nom est inscrit à
côté de votre établissement. Un souci qui devient une obsession motivée non pas
par l’ambition, mais par la peur. La peur de l’échec.
Délaissons ce périple d’Ulysse et revenons
à un autre rapport de l’UNESCO qui décèle un chiffre reflétant l’amère
réalité : au monde arabe, l’individu lit 6 minutes … par an ! La
moyenne en Europe est de 36 heures. Tout est dit. Si la jeunesse marocaine
d’autrefois était avide de lecture, rythmait ses activités à coups de débats,
de cafés littéraires, de pièces de théâtre ou de productions intellectuelles,
celle d’aujourd’hui a trouvé refuge autre part. Les pionniers d’hier étaient
Laroui, Eljabiri, Laâbi, Elmandjra … Leurs productions étaient discutées avec vaillance
et ardeur. La jeunesse aspirait au changement, au savoir et à l’épanouissement.
Ce n’est plus le cas aujourd’hui.
C’est la génération d’émissions de télé-réalité plus sottes les unes que les
autres. Les débats et face-à-face intellectuels puisant dans la diversité et la
richesse d’opinions ont laissé la place à de jeunes starlettes emprisonnées
dans un espace décoré avec la tendance la nec plus ultra. Des milliers de
jeunes à travers le monde suivent les péripéties transmises en direct sur les
satellites : Karima sait bien chanter, Ahmed drague Yasmina, Jomana a la
voix cassée, Haitham est adorable et autres niaiseries. D’une émission à une
autre, le concept se répète et les figures défilent chaque année. Des
compétitions de chant, de dance, d’aventure, de gastronomie, de mode … et la
liste est longue.
D’autres choisissent le football. Si
la pratique du sport est bien louable pour le corps et l’esprit, son addiction
est une calamité. L’addiction non de sa pratique, mais de Messi, du Real et du
Barça. Leurs rencontres sont devenues l’événement phare des week-ends pour la
junte masculine. Les dribles de Messi et ses buts sont devenus légende, la
coupe de cheveux de Cristiano s’est hissée quant à elle au rang de l’effigie
d’une génération. Les transferts du Mercato, leurs chiffres et leurs détails
sont inscrits dans la bible des jeunes aficionados du ballon. La vidéo d’un
jeune enfant surnommé désormais « le Prasson » et ayant fait le tour
de la toile vous en donnera un avant-goût.
Quand les régents du Maroc décident
de promouvoir la culture, leur approche a une épine dorsale bien originale :
les festivals. À entendre festival à la marocaine, attendez-vous à un petit
espace VIP réservé pour l’élite, le reste de l’espace étant réservé à la plèbe
que nous sommes. L’approche avec laquelle ces festivals sont organisés consacre
en premier lieu une atmosphère de folklore et de festivités. L’aspect culturel reste
bien délaissé et marginalisé sauf exception. Ces festivals sont devenus des « attire-jeunes »
remplissant sournoisement une fonction de catharsis salvatrice pour cette
jeunesse déboussolée.
Remettons le cap sur les facultés
marocaines. Surchargées, délabrées et dépassées. Elles sont devenues les lices
de factions idéologiques attardées et extrémistes : le chauvinisme, fanatisme
religieux et sectarisme adopté par des jeunes qui se regroupent dans des
factions alimentent des scènes où l’universitaire se prend pour un guérillero.
Les armes blanches et les gourdins sont le mot d’ordre, maints étudiants sont
sortis avec de graves séquelles physiques et psychiques à l’issue de ces « épopées ».
Quant aux cités universitaires elles sont désormais confondues avec les
lupanars : La destinée de Nana narrée par Zola est devenue le mode de vie
de plusieurs jeunes filles. Si la nuit porte conseil pour certaines, elle
apporte de l’argent facile pour d’autres.
Celles qu’on dénomme grandes écoles
d’ingénieurs et de commerce sont devenues des manufactures de simples techniciens
dénués de tout sens de critique ou de civisme. Cet ascenseur social qui perd de
son efficacité jour après jour annihile ceux qui y entrent. Quand on vous
propose la lecture d’Ali Baba et les quarante voleurs dans un club littéraire d’une
école d’ingénieurs et quand les semaines culturelles organisées par les
étudiants se dissipent petit à petit au profit de soirées DJ, la sonnette d’alarme
est à tirer. Les projets d’élite sont ainsi tués dans l’œuf.
Les conséquences de cette
calamiteuse situation sont illustrées par une récente étude du haut-commissariat
des plans : 1% des jeunes sont membres d’un parti politique, 4%
participent aux rassemblements de partis ou de syndicats, 4% participent à des
manifestations ou grèves, 9% font du bénévolat. Ajoutez à cela que plus de la
moitié de cette jeunesse partage le toit de ses parents selon la même source. Comment
un jeune dans ces conditions peut-il accomplir une indépendance idéelle et
construire ses propres convictions ?
Le portrait est sombre et la lumière
au bout du tunnel risque de ne pas apparaitre du jour au lendemain. Cette
situation peut être extrapolée à plusieurs pays arabes et africains avec quelques
contrastes. Cependant, la chance qu’on possède, c’est d’exister durant l’ère de
l’information. La connaissance est accessible à bout de clics, faut-il encore
prendre la peine de la chercher. Munissons-nous de l’autodidaxie, d’une
lucidité d’esprit et d’une vaillance de jeunes. Bref, « savoir, c’est
pouvoir » disait Francis Bacon.