mercredi 14 janvier 2015

Le terrorisme à la lumière du sacré



La peinture et la sculpture ont été historiquement des arts méconnus pour la civilisation islamique. Michel-Ange a donné naissance à la Création d’Adam et à la statue de David qui restent des œuvres religieuses magistrales en occident, mais sans égal auprès des musulmans. C’est à cause de certains Hadiths que la représentation picturale a été bannie, et ce peu importe son sujet. Lorsque cet aniconisme est brisé par la caricature du prophète, nul doute que cela suscitera de l’émotion auprès d’une large frange de musulmans. Certains terroristes se réclamant de cette religion sont ainsi passés à un acte des plus abjectes pour « venger le prophète ».

Revenons en arrière. En 2005, Moustapha Akkad, réalisateur du péplum islamique « Le Message » a été victime d’attentats terroristes. Son film traitait de la vie du prophète sans pour autant le représenter. C’est pour avoir chanté un verset coranique que Marcel Khalife a été poursuivi maintes fois en justice. Non seulement pour les arts, mais la censure par la terreur est également monnaie courante auprès des journalistes et écrivains : « Les Enfants de notre quartier », œuvre du prix Nobel Naguib Mahfouz a été censurée pour son contenu jugé blasphématoire, son auteur fut déclaré mécréant puis poignardé par des zélés. Faraj Foda, penseur égyptien laïque a été assassiné par un fanatique analphabète pour avoir osé porter un autre regard sur l’islam et son histoire. Plus récemment encore, la Mauritanie a connu des manifestations appelant à l’exécution d’un trentenaire. Son avocat l’a abandonné et le concerné a écopé de la peine capitale. Cause : « Lèse-prophète » dans un article. Dernière affaire avec le cas du saoudien Raif Badawi : 1000 coups de fouet et 10 ans de prison suite à des accusations de blasphème et d’apostasie.

        Voilà ce que le sacré a amené. D’ailleurs dès qu’un réformateur s’y attaque, il est pourchassé, déclaré mécréant et son discours est banni. Depuis Averroès au 12ème siècle, l’islam peine à trouver un réformateur rationnel et influent qui puisse s’attaquer à ses totems. Le cercle du sacré ne cesse de s’agrandir : Dieu, le coran, le prophète, ses épouses, ses compagnons … Hassan II avait même constitutionnalisé la sacralité de sa personne en tant que « commandeur des croyants » ! À la tentative de désacraliser cette foule, un islam de réaction ressurgit et les fous d’Allah se proclament défenseurs du divin et de sa religion.

        Pourquoi donc ? Prenons l’exemple du monde arabo-musulman. Il souffre d’un taux effrayant d’analphabétisme  avoisinant les 40% au Maroc. Moins d’une dizaine de minutes est consacrée annuellement à la lecture dans ces pays. Ses penseurs, écrivains et élites se font de plus en plus rares. La liberté d’expression y est un mythe et ses gouverneurs restent des tyrans et des présidents à vie, même si son unique démocratie naissante est la Tunisie. Ajoutez à cela de la précarité et du chômage et vous obtiendrez un terrain fertile pour les prédicateurs monopolisant l'exégèse du texte religieux à leur guise. Là réside le danger. Jeunes et moins jeunes seront ainsi galvanisés pour devenir terroristes visant leurs propres pays – disciples de l’EI – ou s’attaquant à l’occident.

        Ajoutez à cela que le wahhabisme dilapide des pétrodollars dans tous les sens pour empêcher une sérieuse réforme de cette religion. Le malheur des pays arabo-musulmans réside dans cette manne pétrolière et son influence. Les individus sont ainsi asservis, mutilés, décapités, fouettés et pourchassés au nom de l’islam. Que ces mesures fassent partie intégrante ou non de l’islam, elles n’ont plus lieu d’être en ces temps.

      Il faut admettre que l’islam d’aujourd’hui a un problème. Les leitmotivs « L’islam est la solution » et « L’islam est valable à toute époque et à tout endroit » sont des fantaisies et des délires. Il est vrai que l’occident, au nom de la realpolitik et pour ces intérêts profite de cette situation, mais si les rôles étaient inversés, nous n’hésiterons guère à faire de même, voire pire … Invoquer « le juif » et ses complots comme cause première de tous nos malheurs est une manœuvre de lâches. N’est manipulé et n’est vaincu que le faible, l’illettré et l’indigne. Même si complot il y a, en être la victime ne manifeste que l’abattement du monde arabo-musulman.

       En occident, l’acculturation ratée et l’islamophobie alimentée par l’extrême droite peuvent donner naissance au terrorisme : les français Kouachi et Coulibaly en sont l’exemple. Oui, la responsabilité incombe également à l’occident dans cette montée du terrorisme. Mais les cas cités au tout début illustrent que nous possédons des germes non saines au sein de notre société : certains ont cautionné ces actes barbares et d’autres font l’apologie de l’état islamique et des terroristes. Même en catimini. Résultat ? Charlie Hebdo sortira à 5 millions d’exemplaires, sera traduit en 14 langues, distribué aux quatre coins du globe et l’islam a pris encore une fois un sacré coup. Qu’on veuille l’admettre ou non. Est-ce là une victoire ? J’en doute.

       Les musulmans sont amenés plus que jamais à réformer leur religion et à prendre leurs responsabilités. Le texte religieux doit impérativement être désacralisé, décortiqué et soumis à un nouvel averroïsme rationnel. Le Relire, voire en délaisser certaines composantes est une obligation, pas un choix. L’ignorance sacrée érigée par les prédicateurs a longuement duré, il est temps qu’elle cesse. Car en fin de compte, Le coran ne reste que le miroir de son lecteur.

PS : Cet article a été choisi par la rédaction de MediaPart pour figurer dans la section Révolutions dans le monde arabe.