dimanche 26 février 2017

Au Maroc, démasquer c’est pleuvoir



La situation politique au Maroc peut paraître parfois extrêmement inextricable. On peine à déchiffrer ses us et coutumes malgré toutes les analyses que l’on puisse en esquisser. L’espoir n’est pas perdu pour autant, il suffit d’un événement ou d’un fait-divers pour en déceler un rouage. On a pu se prêter à cet exercice encore une fois lors des récentes averses qui se sont abattues sur Rabat et Salé il y a quelques jours.

            Si ces pluies diluviennes étaient d’un niveau exceptionnel par rapport à la moyenne, je doute fort qu’on puisse les qualifier de catastrophe naturelle. Et pourtant les images captées étaient impressionnantes : routes inondées, tramways et trains à l’arrêt, voitures submergées et maisons évacuées. Le théâtre de ce spectacle désolant est la capitale du royaume où l’on construit un immense théâtre et où un TGV compte transiter … Si c’était une autre ville, on aurait assisté à pire.

            Tout cela amène encore à se poser des questions. Ne pouvait-on guère prévoir cela pour éviter cette situation ou du moins en réduire l’impact ? Qui en est le responsable : Les élus locaux ? Le gouvernement ? Benkirane ? Le roi ? La pluie ?

            C’est depuis belle lurette que le PJD tient les rênes de la gestion de Salé, ville la plus impactée par ces averses. Elle est devenue un fief électoral où le parti de Benkirane réussit un raz-de-marée à chaque élection. Cette durée n’était-elle pas suffisante pour que les élus locaux démontrent leur compétence dans la gestion des affaires publiques ? Ou bien est-ce encore les forces obscures qui ont frappé et entravé le bon fonctionnement des réseaux d’assainissement ? Si l’on était dans un autre pays que le Maroc, il aurait été plus facile de parler de reddition des comptes et de flageller le conseil de la ville. Mais encore une fois, même pour une averse, la chose est compliquée.

            La responsabilité de cet échec flagrant de la gestion publique incombe à deux parties : les responsables élus et ceux nommés par le roi. Les walis détiennent un pouvoir non négligeable sur la gestion des collectivités territoriales. Leurs prérogatives leurs permettent même de bloquer leurs budgets. Rabat a d’ailleurs vécu cet épisode récemment. Si en plus de cela un wali peut interdire à un maire d’assister à la fameuse cérémonie d’allégeance, ce haut-fonctionnaire ne peut-il pas s’immiscer dans la gestion des collectivités et des grands projets qui y sont tenus ? Le constat est bien connu : l’élu n’a pas et n’aura jamais la liberté d’appliquer le programme auquel il s’est engagé auprès de ses électeurs, si programme il y a bien sûr. Celui-ci est susceptible de changer à la guise de l’humeur du wali et de ses subordonnés. Allons plus loin. Le roi lui-même peut intervenir dans des affaires de gestion locale des villes : rappelons-nous de son discours sur le « déficit de la gouvernance » de Casablanca tenu depuis … le parlement. L’épisode du showroom de la CGI, qui s’est vu démolir en un clin d’œil, nous interpellera également sur la réactivité extrême aux « colères royales ».

            Alors le PJD est innocent et c’est la faute au roi et à ses walis ? Cela aurait été bien facile à dire. En acceptant de jouer le jeu et d’entamer des « réformettes », le PJD entérine la situation actuelle et lui confère une légitimité populaire avec sa base électorale. Oui ce parti assume aussi sa part de responsabilité. S’il ne gouverne pas, ne proteste pas quand on le prive d’exercer ses prérogatives et qu’il vient enjoliver la situation actuelle, ne se transformera-t-il pas en un parti de rentiers et de beaux parleurs ? Avec toute la bonne volonté du monde, peut-on être maire d’une ville et cumuler d’autres responsabilités politiques ? Durant cela de l’argent est toujours dilapidé et les villes continuent de se dégrader …

            Théodore Steeg, résident général au Maroc et successeur de Lyautey affirmait qu’ « Au Maroc, gouverner c’est pleuvoir ». Si cet adage reste encore d’actualité avec notre économie après plus d’un siècle, on pourrait aussi affirmer que démasquer c’est pleuvoir. Démasquer un système désuet où il n’y a aucune reddition des comptes, démasquer de l’amateurisme à la gestion des affaires publiques, démasquer un statu quo nauséabond qui enfonce le pays dans la mauvaise gouvernance et surtout démasquer que rien ne change au Maroc. Après tout, c’est la faute à la pluie.

dimanche 19 février 2017

Benkirane entre soumission et crise



                Le plus beau pays du monde vit sans gouvernement depuis presque cinq mois. Plus de blagues à la Benkirane ni de ministres empêtrés dans des scandales pour ce havre de stabilité. Certes gouverner est la chose que fait le moins un gouvernement marocain, mais nous restons dans la nécessité d’en avoir un qui illustrera notre exception démocratique et servira de pare-choc à la monarchie. Retraçons les péripéties et cherchons le pourquoi de ce désert gouvernemental.

Acte 1 : Après un mandat tumultueux rythmé par des réformes impopulaires, le PJD est sacré vainqueur des élections législatives. En faisant fi du taux de participation, des inscrits aux listes ainsi que du système électoral, le compte des voix assure que le PJD a réussi une razzia en empochant 50% de voix de plus par rapport à son précédent score. Certes le jeu des élections est loin d’être parfait et recèle maintes défaillances, mais la victoire électorale et politique est là. Benkirane a été le maître artisan de celle-ci avec son franc-parler et ses diatribes acerbes à l’égard de ses adversaires. La percée du PAM a été aussi fulgurante, mais il est resté deuxième. C’est un échec cuisant pour le makhzen. Veni, vedi, vici Benkirane jusqu’à présent.


Acte 2 : Nabil Ben Abdellah « est recadré » par le cabinet royal pour des déclarations sur l’implication du sérail dans la genèse du PAM, un secret de polichinelle pour le néophyte de la politique marocaine … Malgré cela, son parti le soutient et affirme habilement qu’il assume les propos de son secrétaire général et qu’il tient à son indépendance. Bref, le PPS ne s’est pas agenouillé. L’opposé de ce libre arbitre politique se produira chez le RNI. Ce parti récidive et change de leader du jour au lendemain. Veuillez applaudir l’entrée sur scène de votre nouveau chef de troupe, le milliardaire et grand rouage du makhzen, Monsieur Aziz Akhenouch. Doit-on rappeler qu’il avait démissionné de ce parti cinq ans auparavant.


Acte 3 : Devenir le chef de gouvernement de facto, c’est la mission d’Akhenouch. Traînant derrière lui le MP, l’UC et l’USFP il s’est arrogé le rôle du négociateur tandis que le PAM est resté dans l’ombre jusqu’à nouvel ordre. Depuis les déclarations fusent. Tel un couple de pubères amoureux, Benkirane s’échange avec Akhenouch des : « je t’aime, moi non plus »,  « Ce gouvernement ne verra plus le jour», « On pourra y arriver Akhenouch, mais reviens de ta virée en Afrique !», « Je vais le dire au roi, j’en peux plus », « Je boude dans ma baraque et j’attends de nouveau Akhenouch », « Agharass Agharass », « Je veux l’USFP, moi j’en veux pas ! ».  Une stichomythie qui ne tarit pas depuis …


Acte 4 : « Je ne tolérerai aucune tentative de s’en écarter » affirma le discours royal depuis Dakar en parlant des critères que veut le roi pour ses ministres. Le ton est donné, à la fin c’est le gouvernement de sa Majesté (l’opposition lui appartient aussi selon Driss Lachgar). Vint ensuite une visite du cabinet royal … sans résultat. Stop, arrêtez tout ! Des instructions royales viennent de tomber, on adhère de nouveau à l’Union Africaine. Que tout le monde s’exécute, et vite ! On a besoin d’un président du parlement. Qui sera l’heureux élu faute de majorité ? Le sixième parti qui a eu vingt des 395 sièges évidemment ! On est au Maroc et c’est l’intérêt suprême de la nation qui est en jeu après tout. Au passage, a-t-on demandé au peuple s’il voulait ou non y adhérer à cette union ? Lui a-t-on demandé s’il voulait en sortir déjà ? Non ? Alors ferme là.


Acte 5 :

·         Acteurs :

o    Benkirane, chef de gouvernement malgré lui.

o    Akhenouch, émissaire du makhzen.

o    MP, UC, USFP valets de l’émissaire.

o    Le PAM, il guette dans l’ombre.

·         La scène : Le plus beau pays du monde.

·         L’enjeu : Un pas en avant ou en arrière pour la démocratie.

·         Les événements se dérouleront dans les jours qui viennent …



Vous me direz qu’il manque un prologue. On l’a vécu durant cinq ans, c’était le dernier mandat. Le PJD a offert trop de concessions pour une confiance du palais. Il ne l’aura jamais. Quoi qu’ils fassent, les indicateurs montrent que le vrai pouvoir ne veut pas des islamistes. Même pour faire de la figuration.


Sauf un Deux Ex Machina, l’épilogue de cette mascarade sera une soumission totale de Benkirane au choix de la monarchie, c’est le scénario le plus envisageable pour le dramaturge du Maroc. L’autre fin est une crise politique. L’Histoire l’a toujours dicté, le peuple n’arrive à arracher les pouvoirs d’une monarchie qu’après une crise. Entre temps et dans les coulisses de ce spectacle, on aura toujours des écoles délabrées, des hôpitaux funèbres et un peuple qu’on écrase dans des bennes à ordures.